Un quantum de prison sans la connaître ?
La révolte, elle, ne vise qu’au relatif et ne peut promettre qu’une dignité certaine assortie d’une justice relative. Elle prend le parti d’une limite où s’établit la communauté des hommes. –– Albert Camus, L’Homme révolté.
Comment ne pas être révolté contre le dysfonctionnement publiquement établi concernant la méconnaissance apriori de la prison par les jurés de Cour d'Assises ?
Les débats du procès sont souvent longs, à juste titre, pour prendre la mesure du contexte, pour sonder au mieux la complexité d’une cassure, pour dénouer les versions qui s’entrechoquent. Et ce temps des débats contradictoires est nécessaire car il permet de forger l’intime conviction, d’asseoir les certitudes ou révéler les doutes. La Cour et jurés entrent dans la chambre des délibérations avec des éléments qui ont été mis en relation – au mieux qu’ils pouvaient l’être. Ainsi, lors des délibérations, les jurés ont connaissance des divers composants qui leur permettent de « s’interroger eux mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience, quelles impressions ont faites sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé », comme le précise l’Article 353 du Code de Procédure Pénale.
Cependant, il est inconcevable, pour ne pas dire insupportable, que les jurés aient rarement accès à une visite de la prison. Et à ma connaissance, la plupart sont en demande. Lors des délibérations, dans le cas où la culpabilité est établie par le vote secret, on demande ensuite aux jurés de mettre un nombre (quantum) pour une peine de prison. Dans ce cas d’absence de visite de prison, sur quoi baseraient-ils leur jugement ? Baseraient-ils leur décision individuelle sur un imaginaire, une abstraction, de ce que représente la prison ? Par exemple, combien de douches par semaine ? Commment fonctionne les visites ? Quelle est la logistique pour les repas ? Quelle est la taille d'une cellule ? Y-a-t-il différent régime de détention ? Bref, que signifie concrètement la prison ? « La bonne peine est la peine juste » a-t-il été dit lors du jour de formation précédant l’ouverture des débats. Comment est-ce que cette justice pourrait-elle s’incarner dans un quantum d’années de prison s’il n’y a pas eu un témoignage de tout ce que signifie la prison ?
Voilà, l’État devrait être condamné au même titre que les témoins convoqués mais non-présents et donc non-entendus. Ou au même titre que les jurés ne répondant pas à leur convocation, c'est-à-dire à leur devoir. Si l’Administration Pénitentiaire n’est pas en mesure d’assurer pour les jurés une visite de prison (Maison d’Arrêt ou Centre de Détention), alors l’État devrait verser une somme proportionnelle au quantum de prison à l’accusé s’il est déclaré coupable.
Ne peut-on pas remettre en question la « sincérité de leur conscience » concernant le vote des jurés sur une peine quand la République ne leur témoigne pas, publiquement, de ce que sont concrètement ces peines ?